Le Creusot 1914-1918 : quelques pistes pédagogiques

La Première Guerre mondiale vue de l'arrière depuis un grand centre industriel

 

L’originalité du document

Un texte de première main rédigé par un témoin direct, Pierre Ferrier, le secrétaire général de la mairie du Creusot entre 1914 et 1918, sollicité pour décrire la vie au Creusot à partir de la déclaration de guerre.

Une commande préfectorale, dont on ne sait si elle a été formulée à l’ensemble des communes du département ou s’il s’agit d’une demande particulière, en raison même de l’importance spécifique du Creusot. Les archives départementales ne conservent que le texte relatif au Creusot.

Une évidence : l’impossible approche exhaustive

Le texte de Pierre Ferrier ne peut être utilisé en classe dans sa totalité mais :

Il peut être présenté à partir des quatre premières pages des quatre parties pour donner un aperçu du document original et de sa matérialité : la frappe à la machine à écrire traditionnelle, la partie manuscrite, ce qui permet d’avoir une idée de ce que peut être un rapport de type administratif au début du XXe siècle.

Des extraits significatifs, repérés et signalés dans les dossiers thématiques, permettent de mettre en évidence les deux pistes principales d’exploitation en classe, les aspects de l’effort de guerre au Creusot, l’un des plus grands centres industriels mobilisé pour la production des armes, et les conditions concrètes de la vie ordinaire et quotidienne pour la population.

Pistes méthodologiques

Une approche pluridisciplinaire : l’histoire est convoquée en premier mais le texte de Pierre peut être analysé ou abordé sur le plan de l’écriture (le « style » Ferrier), peut donner lieu à une présentation théâtralisée : quelques passages lus / récités à plusieurs voix donnent une résonance intéressante aux propos de l’auteur. De multiples informations fournies au sujet de l’entreprise et de la situation de la main-d’œuvre, sont potentiellement utilisables en sciences économiques et sociales. Il y a aussi l’approche de l’enseignement moral et civique : comment une population répond-elle aux injonctions d’un État en guerre, de la mobilisation ? À quelles valeurs, à quels principes répond l’obéissance ? Y-a-t-il eu des contestations ?

La confrontation des documents et des points de vue : l’édition papier du texte de Pierre Ferrier et l’édition numérique sont fondées sur la mise en relation de sources variées, par leur nature comme par leurs origines. Ces regards croisés, officiels, publics ou privés, permettent de saisir la pluralité des regards et avis selon la position des témoins, manière de comprendre la nécessité d’une analyse nuancée et complexe. Les documents complémentaires proposés sont une illustration au sens le plus exigeant du terme : les photographies et cartes postales donnent bien « à voir » mais les autres archives fournissent des dimensions supplémentaires à la lecture et à l’approche de ce qu’on peut apprendre et connaître des différentes facettes d’un même événement du passé.

Piste thématique 1 : l’approche des aspects de l’effort de guerre au Creusot

Le texte de Pierre Ferrier et les documents complémentaires permettent d’aborder les conditions et les aspects de la mobilisation militaire, industrielle, morale et financière dans un centre industriel de premier plan totalement engagé dans la fabrication du matériel militaire.

Qu’est-ce que l’effort de guerre au Creusot entre 1914 et 1918 ? Que nous apprennent Pierre Ferrier et les documents ?

L’acceptation de la mobilisation et de l’Union sacrée. La mobilisation militaire d’août 1914 se fait sans heurt et la mobilisation industrielle est obtenue par une surveillance, un contrôle très étroits de la population ouvrière comme par la sollicitude financière de la direction des usines qui se préoccupe de verser au personnel français primes et allocations de vie chère afin de réduire au minimum la contestation éventuelle.

L’engagement de la main-d’œuvre dans un effort productif exigeant et exigé par le gouvernement et les autorités militaires, cet effort productif requérant une mobilisation massive d’ouvriers et ouvrières : ouvriers creusotins mobilisés renvoyés à l’usine au lieu de combattre sur le front, ouvriers de toute la France placés dans la même situation, ouvriers étrangers recrutés via un dispositif national dans le cadre des colonies, femmes également embauchées, toutes ces personnes devenant ainsi les soldats de l’industrie et du travail d’un pays en guerre.

L’engagement de l’entreprise : la direction organise toute la production et la stimule, investit et étend l’équipement industriel avec la construction de nouvelles installations sur la commune voisine du Breuil. Situations bien connues mais exposées ici dans leur réalité locale.

L’organisation des soins pour les blessés du front et l’accueil des réfugiés fuyant les régions envahies du Nord et de l’Est du pays : Le Creusot n’a pas vécu hors de la guerre et de ses drames. La ville n’est pas touchée par les destructions mais elle vit au rythme de l’arrivée des convois de blessés soignés dans plusieurs hôpitaux temporaires ; la municipalité se préoccupe du sort des réfugiés qu’il faut héberger, nourrir et soutenir dans leurs épreuves.

La mobilisation morale et patriotique : le texte de Pierre Ferrier fournit de multiples informations relatives aux quêtes, à la participation des habitants aux journées nationales de solidarité, aux œuvres charitables organisées par le personnel des usines, les femmes, sollicitées auprès des élèves des écoles, aux emprunts nationaux. Lui-même se fait l’ardent défenseur de l’Alsace-Lorraine et exprime des propos profondément hostiles à l’Allemagne ; il pourfend aussi les conduites de certaines femmes avec une extrême sévérité et beaucoup de misogynie. Il est ainsi possible de travailler, sur une approche de l’histoire des mentalités, la propagande, la culture de guerre.

Le tribut du Creusot à la catastrophe démographique : la ville a été épargnée par les combats et une partie de sa population masculine a été largement mobilisée sur place, mais le monument aux morts comprend une liste de 879 morts pour la France, dont l’un des fils du maître de forges, Henri-Paul Schneider. La saignée démographique est donc, ici comme ailleurs, une réalité d’une tristesse infinie.

Piste thématique 2 : l’approche de la vie quotidienne en temps de guerre à partir de l’exemple du Creusot

« Tout était désorganisé » écrit Pierre Ferrier, mais aussi « Le Creusot n’a pas souffert ». Quelles images plus précises livre-t-il d’une ville confrontée au problème de la guerre ?

Trois axes peuvent être mis en évidence :

L’importance de la question alimentaire et donc de la survie au quotidien : dès les premières pages, Pierre Ferrier indique l’urgence des préoccupations relatives à la population civile. Comment approvisionner en pain une population de plusieurs milliers de personnes alors que les boulangers sont partis ? Comment assurer l’arrivée régulière de la farine ? Comment éviter ou limiter les hausses de prix liées à la rareté ou pénurie des denrées ?

La manière dont la population locale a fait face aux urgences et impératifs du moment : l’acceptation de la guerre et des diverses formes de la mobilisation, les différentes contributions à l’effort de guerre, l’accueil des réfugiés, l’attention portée aux événements, les phases de démoralisation et d’inquiétude, les manifestations de patriotisme …

Les désobéissances et dissidences : la vie ordinaire se poursuit dans ses manifestations variées. Pierre Ferrier expose quelques faits divers qu’il dénonce avec sévérité en prenant soin toutefois de ne pas en faire une situation générale. La presse relate la difficulté à limiter la consommation d’absinthe, les rixes et bagarres (dont l’une d’elles, en novembre 1916, fait l’objet d’un long développement dans le texte de Pierre Ferrier), la petite délinquance (vols)… La population locale, étroitement surveillée, comme en témoigne le grand nombre de rapports adressés par le commissaire central du Creusot à la préfecture, a été peu sensible au mouvement pacifiste. La renaissance d’une cellule syndicale en mai 1916 s’est faite aussi dans des conditions qui sont très éloignées d’un quelconque mouvement révolutionnaire ou hostile à la guerre.

Les constantes du contexte creusotin : la prise en charge du quotidien par le paternalisme

La guerre ne modifie pas l’organisation habituelle : la ville et la vie sont dominées par l’entreprise Schneider. Le texte de Pierre Ferrier témoigne à maintes reprises des décisions de la directions des usines, voire d’Eugène II lui-même à l’égard de « ses » ouvriers et ouvrières, de l’intervention des dirigeants dans la gestion des préoccupations alimentaires, des consignes données aux élèves des écoles Schneider…

Pistes multiples, à adapter selon les programmes, le niveau d’enseignement et les objectifs recherchés.

Cette présentation n’est pas limitative : elle propose des orientations indicatives, mettant en valeur un site particulier mais emblématique, dont les caractéristiques renvoient fondamentalement à ce que l’ensemble de la population a dû supporter pendant le conflit.

 

Françoise Bouchet,
agrégée d’histoire, missionnée au service éducatif
de l’Écomusée de la Communauté Creusot-Montceau (1990-2016)